L’écologie relationnelle : vers une permaculture des besoins interpersonnels
Fabrice Mézières
Temps de lecture : 5 mn.
Comme les plantes de nos parcs et jardins, l’être humain vit au gré d’une météo variable et d’un temps incertain. Par la qualité des moments partagés avec nos contemporains, nous nourrissons mutuellement - ou non - nos besoins essentiels. Ce qui contribue - ou non - au sentiment de confiance.
Entre influence de notre culture et de nos émotions, découvrons comment une meilleure compréhension de nos appétits relationnels peut participer au développement et à la régulation de nos écosystèmes personnels.
Le temps, ingrédient essentiel... et cependant insuffisant !
Comme les branches d’un arbre, nos relations grandissent avec le temps. Et parfois la nature nous invite à attendre, à simplement faire preuve de patience et de confiance. « Cela ne sert à rien de tirer sur l’herbe pour qu’elle pousse. », nous rappelle le proverbe africain.
À l’image du sable d’un sablier, le temps s’écoule, plus ou moins doucement, selon notre subjectivité.
Cependant, quand il s’agit d’agir et d'interagir, l’être humain fonctionne souvent par habitude et automatisme, avec de la reconnaissance et de la satisfaction. Voire de temps en temps, des incompréhensions, des frustrations ou même des tensions.
Mais alors, comment prendre conscience de ce qui nous incite à entrer en relation et mieux agir sur ce qui nourrit nos interactions ?
La culture et l’espace, terreau d’une relation fertile
Dès l’entrée en relation, nous sommes influencés par la culture dans laquelle nous baignons : cet ensemble des façons d’être et d’agir spécifiques à un groupe. À chaque rencontre, nous expérimentons ainsi un rapport à l’espace matériel et physique1.
La distance qui s'établit entre des personnes varie selon les cultures. Par exemple, dans les pays latins les distances entre les corps sont relativement réduites et dans certains pays d’Afrique, elles sont souvent si réduites que le contact physique est fréquent. À l'inverse, au Japon ou dans certains pays scandinaves, les contacts physiques sont plus rares et ces distances plus importantes.
Comme nous pouvons le constater en voyage notamment, la distance physique considérée comme « normale » par un individu est la plupart du temps « implicite », elle se révèle en cas de surprise et d’inconfort.
« Ce que j’aime dans les voyages, c’est l’étonnement du retour. » Stendhal
Au-delà de la distance physique, qu’en est-il de la distance psychologique ?
L’appétit personnel, secret du jardinier relationnel !
Au cœur d’une culture commune, nous sommes tous uniques et différents : il est intéressant d’explorer ce qui sous-tend nos interactions, au niveau psychologique. On peut d'ailleurs parler d’appétit, spécifique à chacune et chacun !
Will Schutz, chercheur à Harvard, s'est appuyé sur les études qu'il a menées au sein de la marine américaine afin de développer une théorie sur les relations et les besoins interpersonnels2.
Selon lui, au-delà des besoins physiologiques essentiels d'une personne, il existe des besoins interpersonnels qui motivent le comportement.
Les besoins Souhaités s'apparentent aux besoins en eau des plantes : chacune exige des quantités différentes pour s'épanouir.
Les besoins Exprimés sont à l'image des réservoirs d'arrosoirs : les quantités à donner ne sont pas les mêmes.
S'il y a un décalage entre les besoins et le niveau de contact social vécu, il arrive que les relations entraînent une souffrance et des conflits interpersonnels.
Will Schutz s'est attaché à mesurer les niveaux de besoins de différentes personnes dans trois domaines interpersonnels et à modéliser ce qui se joue lorsque ces besoins ne sont pas satisfaits. L'outil FIRO-B® est le fruit de ces recherches. Il met en évidence les besoins, les souhaits, les styles relationnels et le comportement des individus.
Les rencontres : sources de satisfaction réciproque ?
Pour être en relation, il faut être au moins deux. Le questionnaire FIRO-B identifie les écarts entre la manière dont l’individu se conduit avec les autres et la manière dont il souhaite que les autres agissent avec lui.
Le rapport personnel associé permet de prendre conscience de contrastes dans nos besoins et de sources d’incompréhension potentielles. Il présente nos besoins « Exprimés » et « Souhaités » :
- lors de la rencontre avec autrui - en tête-à-tête ou en groupe (I - Inclusion),
- en regard les uns des autres - en termes de cadre, de coopération voire de confrontation (C - Contrôle),
- et jusqu'à l’ouverture à l’autre - dans le partage d'informations sur qui nous sommes et ce qui compte pour nous (A - Affection).
La psychométrie permet d'accéder ainsi à un mode d'emploi de nos besoins relationnels, pour ajuster nos comportements et clarifier notre communication.
Par exemple, une personne qui exprime un besoin important d’Affection (A) mais qui a un besoin plus limité d'en recevoir en retour peut être surprise, voire gênée, par la proximité qui sera manifestée par certaines personnes de son entourage. Lesquelles pourraient penser que le besoin « Exprimé » de la personne est le même que son besoin « Souhaité ».
Grâce à ce reflet des besoins relationnels, la connaissance de soi peut se développer naturellement avec le temps, pour nous permettre de mieux vivre les manques ou frustrations et savourer pleinement les relations - en quantité et en qualité.
Elle aide à comprendre que nous n’avons pas tous le même appétit et nous permet d’être attentifs aux projections et raccourcis, avec deux clés :
- « Expliciter l’implicite » : ce qui est évident pour moi ne l’est pas forcément pour les autres,
- « Objectiver le subjectif » : ce qui est applicable pour moi n’est pas toujours généralisable.
La fenêtre de Johari est un outil simple et visuel pour identifier ce qui est connu et inconnu, de soi et des autres. Se confier sur nos besoins et recevoir du feedback sur la perception des autres permet d’élargir la zone publique… et contribue à développer la confiance !
La communication : au cœur de la régulation des besoins et des émotions !
Ces deux clés favorisent une communication authentique et constructive, en tenant compte des dimensions émotionnelles et cognitives.
Chaque besoin relationnel est associé à un sentiment qui nous met en mouvement. Littéralement. Si le besoin n’est pas satisfait à temps, la peur associée peut enclencher des comportements non constructifs ou inadaptés.
« La violence est l’expression tragique de besoins non satisfaits. C’est la manifestation de l’impuissance et/ou du désespoir de quelqu’un qui est si démuni qu’il pense que ses mots ne suffisent plus pour se faire entendre. Alors il attaque, il crie, il agresse… » Marshall B. Rosenberg3
Prendre conscience de ses besoins relationnels permet d’ajuster les interactions, les positionnements et le niveau de proximité associés. Il s’agit d’un apprentissage continu, parfois réalisé à l'instant T, parfois après une relecture d’expérience.
En reconnaissant cette interdépendance relationnelle, les équipes et les individus pourraient contribuer à renforcer la confiance, terreau de la cohésion, pour mieux faire face aux défis rencontrés dans un environnement incertain et mouvant… et ainsi mieux grandir collectivement !
La nature, une source intarissable d’inspiration pour harmoniser nos relations !
À l’image de la permaculture, l’écosystème relationnel peut ainsi se réguler et se développer, en valorisant la diversité tout en favorisant les synergies et l’harmonie. Cette dynamique nous permet de nous épanouir de façon « écologique » - c’est-à-dire en ayant conscience de nos ressources et de l’impact de nos comportements sur les autres !
En écho à la Communication NonViolente, il s’agit de connaître ses besoins et les communiquer de façon acceptable, pour que les émotions deviennent des ingrédients et non des irritants : voilà une étape essentielle de l’intelligence émotionnelle !
Références :
1Il s’agit ici du concept de « proxémie » en référence aux travaux de l’anthropologue américain Edward T. Hall.
2Will Schutz, chercheur à Harvard, s'est appuyé sur les études qu'il a menées au sein de la marine américaine afin de développer une théorie sur les relations et les besoins interpersonnels.
3Marshall B. Rosenberg « Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) » - Père de la Communication NonViolente
Aller plus loin :
- Déjouer les pièges relationnels pour booster la performance… et plus si affinités
- Relations et interactions humaines : les deux faces FIRO® de nos besoins
- Comprendre les motivations personnelles pour améliorer la cohésion d'équipe