Leadership et confiance en soi : un cocktail gagnant ou explosif ?
John Hackston, directeur Thought Leadership, The Myers-Briggs Company
Si se faire confiance est essentiel pour être un leader efficace, il est aussi important de savoir ne pas en abuser.
Voteriez-vous pour un candidat à la présidence de la République qui semble manquer de confiance de lui ? La réponse typique de l'ensemble de la population est non. La confiance en soi est clairement considérée comme essentielle chez le dirigeant, qu'il soit gérant d'un restaurant ou PDG d'une multinationale. Les études le confirment : nous avons tendance à écouter et à croire les gens qui ont l'air de savoir de quoi ils parlent.
Bien que la confiance en soi demeure un facteur essentiel pour convaincre les autres que vous êtes en mesure de les diriger, son rôle et impact sur la performance d'un dirigeant restent moins bien connus et compris.
La confiance en soi n'est pas une compétence, et c'est là que réside le problème
Et pour cause : à un moment donné, la confiance en soi cède la place à l'orgueil. Nos recherches font ressortir que ce phénomène est plus fréquent chez les hommes que chez les femmes, et peut expliquer en partie la sous-représentation féminine dans les postes de direction. Il n'est pas toujours facile de savoir quand cette limite est franchie, mais le résultat parle de lui-même : l'Histoire est truffée d'exemples de personnes ayant une confiance en elles démesurée et qui ont pris des décisions qui se sont avérées désastreuses car elles n'ont pas su détecter leurs faiblesses ou failles. Plus elles ont confiance en elles, plus leurs erreurs s'avèrent désastreuses. On citera par exemple, Blockbuster ayant raté l'opportunité de racheter Netflix ou encore Disney ayant laissé passer Harry Potter et Le Seigneur des Anneaux (pour finalement retenir la leçon et racheter la franchise Star Wars).
Comment est-ce possible ? Pour commencer, la confiance en soi n'est ni une question de compétence, ni de discernement. Il est facile d'être aveuglé par ses propres biais de raisonnement, en particulier lorsque nous sommes entourés d'autres personnes ayant des points de vue similaires aux nôtres et qui sont enfants du sérail. En fait, l'excès de confiance en ses propres capacités serait propre à la nature humaine. Ce phénomène est un biais très commun où la confiance d'une personne dans son jugement dépasse systématiquement la pertinence réelle de ses décisions.
C'est ainsi, par exemple, que la plupart d'entre nous sont des conducteurs "dans la moyenne" mais qui ont tendance à se considérer "hors-pair" (ne serait-ce qu'aux Etats-Unis, 93 % des conducteurs se déclarent hors-pair). Il semble pour nous difficile d'accepter que nous sommes des conducteurs aux performances "dans la moyenne", et encore plus difficile de se dire que nous sommes peut-être l’un de ceux qui surestiment leurs propres capacités.
Moins on en sait, plus on pense en savoir
Qu'est-ce qui explique qu'un leader trop confiant prenne des décisions aussi désastreuses ? Les psychologues David Dunning et Justin Kruger ont découvert et décrit un biais cognitif, appelé « effet de surconfiance », constaté lorsqu'une personne peu qualifiée sur un sujet est persuadée de l’être. Elle a alors non seulement tendance à tirer des conclusions erronées et à faire de mauvais choix, mais aussi, en raison de son incompétence, à ne pas être en mesure de comprendre à quel point ses décisions sont mal fondées. Appliqué au leadership, cela signifie que les managers sont susceptibles de prendre des décisions d'autant plus erronées que leur niveau d'expertise sur un sujet est faible. Ainsi, les managers ayant un niveau de connaissances important dans un domaine ont tendance à soumettre les sujets qui y sont connexes à une investigation rigoureuse, alors qu'on observe ceux en proie à la surconfiance lancer des projets d'une ambition démesurée, dans des domaines qui leur sont inconnus.
Pourquoi personne n'élève la voix ?
S'il est possible d'imaginer un leader trop sûr de lui s'aventurer en territoire hasardeux dépassant les limites de ses propres compétences et connaissances, il peut être un peu plus difficile de concevoir pourquoi son organisation le laisse faire. "Pourquoi personne n'a rien dit ?", vous demanderez-vous peut-être. Malheureusement, l'excès de confiance s'accompagne souvent du phénomène de "pensée de groupe", où l'accord du groupe prévaut sur la pertinence de la décision. Les faits, les données et les opinions qui n'iraient pas dans ce même sens sont ainsi rejetés en bloc, surtout si à la tête de ce groupe se trouve un leader charismatique et ayant confiance en lui. Dans la plupart des cas, les signaux d'alarme ont été tirés mais ignorés. En outre, le même phénomène d'orgueil qui "conditionne" ces leaders trop confiants à être sûrs d'avoir raison, tend également à les "conditionner" à ignorer les signaux indiquant un échec probable.
Les études menées sur les leaders décrits comme arrogants et narcissiques montrent que la simple présence de tels leaders étouffe naturellement la discussion et l'échange d'informations au sein de leurs équipes, voire même dans toute l'organisation. Par conséquent, la perspective d'un échec et des moyens d'action alternatifs ne sont pas discutés, si bien que lorsque les choses tournent mal, personne ne sait quoi faire.
Rééquilibrer l'excès de confiance par la connaissance de soi
Pour ne pas laisser cet excès de confiance en soi condamner les leaders ou leurs organisations à commettre des erreurs évidentes et lourdes de conséquences, les former à comprendre et à déjouer les pièges du biais de surconfiance et de la pensée de groupe apporte un réel bénéfice.
L'accompagnement et le coaching individuel ainsi que collectif s'avèrent bien plus efficaces lorsqu'ils s'appuient, dans un premier temps, sur l'amélioration de la connaissance de soi et du fonctionnement humain. En prenant conscience de leurs propres préférences, styles et biais, les leaders sont plus à même de désamorcer la dynamique de décisions irréfléchies.
Les leaders reconnus pour leur style charismatique, par exemple, peuvent être sensibilisés à l'impact étouffant de cette "aura" sur le libre échange d'idées, en apprenant des techniques d'animation de groupe pour relancer les discussions ou débats comme préalable d'une décision importante. Dans le même temps, leurs équipes peuvent également prendre conscience de la façon dont la dynamique de leur équipe empêche les contre-arguments d'être exprimés. Par exemple, dans un groupe, plusieurs personnes qui ont le même type de personnalité partagent également les mêmes angles morts et peuvent ainsi avoir tendance à négliger collectivement des choses qui seront pourtant évidentes pour un observateur extérieur.
En fait, la connaissance de soi est une denrée rare dans notre société, et certaines études estiment que seulement 10 à 15 % d'entre nous se connaissent vraiment. Ce n'est donc pas un scoop qu'elle fasse également défaut aux leaders arrogants. Si l'excès de confiance en soi peut permettre de remporter quelques victoires faciles à court terme, il comporte néanmoins des dangers à long terme. En revanche, si un dirigeant lucide sur lui-même peut sembler faire preuve d'un leadership au premier abord moins exaltant, cela facilite une prise de décision éclairée et plus rentable.
John Hackston, à la tête du Thought Leadership chez The Myers-Briggs Company, est diplômé en psychologie, et a plus de 30 ans d'expérience dans le domaine de l'évaluation de la personnalité et l'utilisation d'outils psychométriques dans des contextes variés, tels que la sélection, le développement du leadership, la gestion de la performance et le développement d'équipes.
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